Entretien
Sécheresse : quelles conséquences sur la production hydroélectrique du Rhône ?
La sécheresse affecte la production hydroélectrique sur le Rhône, mais n’a pas encore impacté l’irrigation agricole. Explications avec Pierre-Jean Grangette, directeur de la valorisation énergétique de la Compagnie nationale du Rhône (CNR).
Quels enseignements tirez-vous de la sécheresse de 2022 ?
2022 fut une année très compliquée, car on a cumulé une baisse des débits à cause du manque de pluie et une période précoce de fortes chaleurs. La fonte des neiges, qui alimente généralement le débit du Rhône à partir du mois de juin, avait eu lieu au mois de mai : il ne restait aucun stock de neige début juin. La sécheresse a commencé à partir de cette période et a duré jusqu’à mi-octobre : les débits du fleuve étaient réduits de 30 % par rapport à la normale. Sur l’année entière, la production hydroélectrique, avec 11,4 TWh, est l’une des trois plus basses productions de ces quinze dernières années, soit entre 15 et 20 % de moins que la production normale annuelle.
Le Rhône est entièrement aménagé, avec 19 barrages depuis la frontière suisse : les retenues régulières assurent un certain niveau d’eau tout le long du linéaire. Nous devons gérer le Rhône dans une cote minimum et maximum : ce sont nos contraintes d’exploitation définies par l’État. On ne peut pas l’assécher, ni le baisser plus bas qu’il ne doit être. L’électricité est produite dans ce cadre. Si le niveau d’eau est insuffisant, on ne turbine pas. Toutefois, les débits réservés [le débit minimal d’eau imposé aux gestionnaires d’ouvrages hydrauliques pour garantir un écoulement minimum du cours d’eau, assurant le fonctionnement des écosystèmes aquatiques] ont permis de maintenir un certain niveau dans l’ensemble des bras du Rhône, n’entraînant aucune conséquence sur les autres missions de la CNR : la navigation et les prélèvements pour l’irrigation. Si la profession agricole n’a pas eu à subir de restrictions, qui sont d’ordre préfectoral, la CNR travaille avec un certain nombre de chambres d’agriculture pour favoriser une production moins gourmande en eau et des prélèvements agricoles moins impactants.
Comment se présente 2023 ?
L’année a commencé de manière très inhabituelle. Dans la lignée de l’hiver 2022, les débits étaient 17 % en dessous des normales en janvier. Puis, en février, la baisse a atteint 40 %, avec 32 jours consécutifs sans la moindre goutte de pluie sur tout le linéaire du Rhône. Depuis mars, on est revenu à des niveaux conformes à la moyenne. Cependant, les températures basses ont été propices à la formation de neige en altitude, et donc à la reconstitution du stock. S’il continue à faire chaud comme actuellement, la fonte nivale fournira le débit nécessaire au fonctionnement des installations électriques dans les semaines qui viennent. Globalement, de mars à mai, nous étions légèrement au-dessus des médianes de production.
La sécheresse annoncée ne se confirmerait pas ?
La météo est capricieuse, je vous parle de tendances. Mais la situation est beaucoup moins dramatique que l’année dernière à la même époque, car la pluviométrie a permis de reconstituer un débit normal sur le Rhône. À fin mai, nous sommes aux alentours de 6 TWh de production, soit 10 % de plus que l’an dernier à la même époque, mais 10 % en dessous des moyennes, notamment à cause de ce qu’il s’est passé en février. Cependant, au niveau de la production, comme de la navigation et de l’irrigation, nous ne sommes pas en alerte.
L’augmentation des températures estivales vous affecte-t-elle ?
La chaleur entraîne une hausse des consommations électriques, du fait de l’usage de la climatisation. Et la fonte nivale interviendra plus tôt (elle dure en général jusqu’en juillet) : les débits seront plus soutenus en juin, mais dureront moins longtemps. Cependant, la production photovoltaïque fonctionnant à plein régime l’été, les besoins en hydroélectricité sont moindres. Une étude récente de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse sur les prévisions du débit du Rhône à horizon 2050 indique une modification de la répartition des débits : plus d’eau l’hiver et moins de neige (donc des débits plus importants) et moins d’eau et des périodes d’étiage et de bas débit plus importantes l’été. Mais cela se compenserait au niveau des débits sur l’ensemble de l’année.
Il pourrait y avoir des conséquences sur la navigation et la gestion des centrales nucléaires (nous avons des accords avec EDF et l’État pour fournir un débit minimum au droit de la centrale du Bugey, par exemple), mais surtout des conséquences environnementales. Dans le delta du Rhône, par exemple, les bas débits entraînent une remontée des eaux salées assez loin dans les terres, ce qui n’est pas bon pour l’irrigation et la biodiversité. Nous devons étudier ces résultats en ce qui concerne les très hauts débits hivernaux, même si les aménagements permettent une gestion des crues.