Décryptage
Réduire les cheptels pour diminuer les émissions de méthane ?
Deux rapports récents convergent en conseillant une réduction des cheptels pour diminuer les émissions de méthane de la France et de l’Europe. Décryptage.
Le rapport du cabinet de conseil CE Delft, publié en juin 2022 pour la fondation Changing Markets à l’échelle de l’Union européenne, puis plus récemment celui de la Cour des comptes, rendu public le 23 mai 2023, s’appuient sur le même constat : l’Union européenne ne parviendra pas à tenir ses engagements au sein du Pacte mondial sur le méthane (Global Methane Pledge signé fin 2021 par les pays membres) de réduire de 30 % ses émissions de méthane d’ici 2030 sans réduire le nombre de têtes de bétail.
Un constat sans appel
« L’UE pourrait réduire ses émissions d’au moins 34 % en incitant seulement 10 % des consommateurs européens à adopter une alimentation plus saine et durable comprenant moins de viande et de produits laitiers, et en accélérant les mesures d’ores et déjà existantes de lutte contre les émissions provenant du fumier animal (production de biogaz), des déchets alimentaires (réduire le gaspillage alimentaire, trier et réutiliser les déchets organiques) et de l’énergie via l’introduction de normes d’émissions de méthane pour les producteurs de pétrole et de gaz », souligne le rapport européen qui note que, sans action, les émissions provenant de l’élevage ne devraient baisser que de 3,7 % d’ici 2030.
En France, la Cour des comptes souhaite également définir « une stratégie de réduction du cheptel bovin cohérente avec les objectifs climatiques du Global Methane Pledge » tout en « développant un dispositif d’aides à la reconversion » pour les éleveurs les plus en difficulté. Pour la Cour des comptes, qui contrôle la régularité des comptes publics, « le modèle économique des exploitations d’élevage apparaît fragile et sa viabilité reste dépendante du niveau élevé d’aides publiques ». Si elle reconnaît que le stockage de carbone dans le sol des prairies permet une réduction des émissions de gaz à effet de serre, celles-ci « restent toujours très importantes, principalement en raison du méthane produit lors de la digestion des animaux ». Aucun des deux rapports ne précise la proportion du cheptel qu’il faudrait supprimer. Certes, la décapitalisation « naturelle » via l’arrêt d’activités perdure, mais ne devrait « pas suffire pour atteindre les objectifs climatiques ».
Quid de la consommation de viande ?
Pour les éleveurs français, ce rapport a eu l’effet d’une bombe. Ils regrettent notamment que la biodiversité, l’économie sur le territoire, les emplois dans la filière, la souveraineté alimentaire… ne soient pas pris en compte. Car si ces rapports recommandent une diminution du cheptel, « la consommation de viande, elle, ne réduit pas et des accords d’importation continuent d’être négociés, souligne Patrick Bénézit, président de la Fédération nationale bovine. On ne comprendra jamais qu’on puisse nous remplacer par une viande produite à l’autre bout du monde dans des conditions déplorables. » Si la consommation de viande de bœuf a baissé depuis une vingtaine d’années, la consommation globale de viande (porc, volailles, bœuf, etc.) par habitant stagne en revanche depuis 2010. Les politiques publiques devront donc d’une part viser la baisse globale de consommation de viande et d’autre part encadrer l’industrie agro-alimentaire pour une alimentation de qualité.