Le tour de la question
Du rhum pour produire du biogaz
Sur l’île de La Réunion, la distillerie Rivière du Mât produit du biogaz à partir d’un résidu de cannes à sucre. Elle est pour cela équipée de deux méthaniseurs. Le biogaz est autoconsommé et grâce à une unité de cogénération, utilisé en prime pour produire de l’électricité et de la vapeur. Aujourd’hui, la distillerie génère plus d’énergie qu’elle n’en consomme.

La distillerie Rivière du Mât (DRM), fondée en 1886, s’intéresse à la méthanisation depuis un certain temps. Sa production de rhum, réalisée avec de la mélasse (issue de la transformation du sucre et achetée auprès des deux usines sucrières de La Réunion), génère en effet des résidus liquides, appelés vinasses. Or, ces résidus étaient historiquement rejetés à la mer, non sans conséquences sur le milieu marin. « La dérogation dont bénéficiait DRM a été annulée il y a plusieurs années. L’entreprise a dû chercher une solution alternative pour traiter ces déchets, explique Sophie Pouthier, coordinatrice du pôle Énergie à la direction régionale Océan Indien de l’Ademe. La méthanisation s’est rapidement imposée. Elle offrait la possibilité de valoriser les vinasses et d’autoconsommer de l’énergie renouvelable, tout en évitant les rejets à la mer. »
Afin de tester le traitement d’une partie des vinasses (environ 45 %), une première unité de méthanisation a été installée en 2011 sur le site de la distillerie. L’intégralité du biogaz produit, 14 400 Nm³ par an, est autoconsommée dans des chaudières à gaz pour générer la chaleur nécessaire au réchauffage des colonnes à distiller (sous forme de vapeur à 8 bars de pression). Elle permet de couvrir 80 % des besoins.
Biogaz, chaleur et électricité
Après avoir validé le fonctionnement du premier méthaniseur, DRM a créé en 2018 une société pour porter et exploiter un nouveau projet de méthaniseur, mais également une cogénératrice. Mis en service en 2020 et doté d’un digesteur de 5 840 m² (pour 20 mètres de haut et 20 mètres de diamètre), le méthaniseur permet de traiter les 55 % de vinasses restantes, soit 11 400 tonnes par an, et de produire 14 400 Nm³ de biogaz par an lui aussi. Il est également équipé d’une unité de désulfuration du biogaz spécifique (les vinasses contiennent beaucoup de soufre, ce qui abime les équipements et les canalisations), ainsi que d’un décanteur-flotteur. « Ce dernier purifie le digestat qui est ensuite utilisé sur des plantations de canne à sucre, des vergers ou des prairies selon un plan d’épandage [6 000 tonnes par an, ndlr] », indique Sophie Pouthier.
Au total, 1 000 000 m³ de biogaz est produit par an sur le site. L’unité de cogénération, elle, a été inaugurée en 2022 et dispose de deux moteurs de 1 200 kW électriques chacun afin de produire annuellement 7 600 MWh de chaleur (sous forme de vapeur d’eau) et 7 700 MWh d’électricité. « Une partie du biogaz est utilisée pour chauffer les colonnes de distillation de l’usine via les chaudières et le surplus est injecté dans la cogénératrice. L’électricité produite est intégralement vendue à EDF », précise Sophie Pouthier. Pour générer de la vapeur, l’unité de cogénération récupère également l’énergie fatale des fumées des moteurs de cogénération. La vapeur est ensuite réinjectée directement dans les process de la distillerie, ce qui permet de couvrir 100 % de ses besoins en chaleur.
Un investissement conséquent
Grâce à l’opération, DRM a fait passer sa consommation de fioul de 1 500 m³ par an à moins de 70 m³. L’entreprise évite ainsi l’émission de 2 526 tonnes de CO2 chaque année. Toutefois, le projet a nécessité un budget global de 14,3 millions d’euros. Si DRM a bénéficié d’un accompagnement de l’Ademe (pour les études de faisabilité, les réunions avec les financeurs, la valorisation du projet, etc.), ainsi que de subventions*, il lui a fallu investir une somme très importante.
« Ce type de projet requiert une certaine assise financière et des personnes de confiance, notamment pour le montage du projet, l’ingénierie, le suivi, la maintenance et l’exploitation. Dans les DOM, on est très éloigné du continent et, en cas de problème, on doit se débrouiller seul. Par ailleurs, les coûts (transport, terrassement, etc.) sont plus élevés », assure Sophie Pouthier. Le retour sur investissement du projet, lui, devrait en théorie intervenir au bout de 16 ans. « La filière du rhum étant en souffrance, les intrants peuvent être insuffisants, avec d’éventuelles pénalités à payer auprès d’EDF si la production électrique est insuffisante. Cependant, il n’y a pas de tarif d’achat règlementé de l’électricité dans les DOM. Le porteur de projet négocie de gré à gré avec la Commission de régulation de l’énergie et propose le tarif qui lui permet de rentabiliser son projet à long terme. »
* 900 000 € de l’Ademe dans le cadre du Fonds chaleur, 386 000 € du conseil régional et 3 millions d’euros du Fonds européen de développement régional (Feder).