Le tour de la question
Comment monter un projet de méthanisation agricole avec des citoyens ?
Dans l’Aveyron, 32 citoyens, dont 26 agriculteurs et des élus, se sont réunis en société à gouvernance coopérative. Accompagnés de partenaires financiers, ils développent depuis 13 ans un projet d’unité de méthanisation ancré dans le territoire. Un temps long ayant forcé le projet d’origine à se transformer.
À Centrès dans l’Aveyron, tout commence en 2008, lorsque Robert Fabre, ancien agriculteur, un autre citoyen et la maire de la commune rencontrent un expert de la méthanisation sur un salon dédié aux énergies renouvelables. Intéressés par le concept, ils en parlent à leurs amis agriculteurs. Rapidement, un petit groupe de citoyens se forme et invite l’expert à intervenir lors de plusieurs réunions d’information avec d’autres exploitants du territoire.
Naissance du projet de méthanisation
Après avoir rencontré des porteurs de projet de méthanisation, le collectif crée, en 2010, l’association Centrès Agri-Energie (CAE) afin de porter une étude de faisabilité pour l’installation d’une unité sur la commune. « Celle-ci a été prise en charge par un bureau d’études. Toutefois, il nous a fallu du temps avant de réunir les 20 000 € nécessaires. Des banques, ainsi que les collectivités locales nous ont aidés, mais nous avons dû les sensibiliser sur la méthanisation, d’autant qu’aucune unité n’existait alors dans l’Aveyron », explique Robert Fabre. L’association se lance ensuite à la recherche d’un site, mais la tâche est ardue.
À l’origine, le collectif souhaitait en effet mettre en œuvre une unité pour injecter du biométhane, mais il n’existe pas de réseau à proximité. Il lui a donc fallu revoir le projet en optant pour la cogénération biogaz (production d’électricité et de chaleur), trouver un endroit proche d’une ligne électrique et relativement central pour éviter de construire des routes et limiter les transports. Le groupe de citoyens a d’ailleurs bénéficié d’un stage avec un agronome et il a été aidé par un CAUE (conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) lors du développement.
« Nous souhaitions monter notre projet dans les meilleures conditions. En 2010, une agricultrice a finalement accepté de nous céder un terrain laissé en fermage via la signature d’un bail emphytéotique. Le site est déjà desservi par une route bordée d’arbres qui seront conservés pour limiter l’impact visuel », précise Robert Fabre.
Gouvernance citoyenne
Pour porter le projet, la société à actions simplifiées (SAS) CAE Biogaz a d’abord été fondée en 2015. Composée de trois collèges (agriculteurs, citoyens et collectivités), elle donne plus de place aux exploitants dans la prise de décision, mais les citoyens et les collectivités sont eux aussi impliqués dans une démarche collaborative.
En matière de dimensionnement, la SAS avait ainsi opté en premier lieu pour l’installation d’une unité de 350 kW, car elle disposait d’un important gisement en fumiers. Cependant, les lignes électriques n’étaient pas en capacité d’absorber une telle puissance. En outre, la SAS aurait dû investir elle-même dans des travaux de renforcement des lignes, soit un coût supplémentaire d’environ 600 000 €, pour un budget initial estimé à 3 millions d’euros. « Cela concerne les puissances supérieures à 250 kW, rappelle Robert Fabre. Nous avons essayé de faire bouger les choses, en vain. La puissance retenue a donc été de 249 kW, pour une production annuelle de 1 900 MWh ». Les intrants seront composés de fumiers et de déchets verts. Le digestat sera quant à lui retourné aux agriculteurs. À ce titre, la collecte et la distribution seront limitées au plateau sur lequel est située Centrès, entre les deux vallées qui l’entourent. Reste que l’investissement est conséquent.
C’est pourquoi Énergie partagée et l’Agence régionale énergie-climat (Arec Occitanie), qui accompagnent l’initiative depuis le démarrage, sont devenus partenaires financiers du collectif, dans le cadre d’une nouvelle SAS, Centrès Méthanisation, qui porte désormais le projet. « CAE Biogaz bénéficiera toutefois d’une délégation pour gérer l’unité au quotidien. Elle apportera une part majoritaire de 700 000 € en fonds propres. Énergie partagée et l’Arec apporteront ensemble un montant légèrement inférieur. Par ailleurs, nous bénéficions d’une aide de 400 000 € de l’Ademe et la Région Occitanie », précise Robert Fabre.
L’injection devenue plus rentable
Pour trouver le reste du financement, le collectif comptait sur les banques, mais également sur l’investissement d’autres citoyens, via la première SAS ou Énergie partagée. Des réunions publiques sont d’ailleurs prévues afin de proposer l’initiative aux habitants et un site Internet dédié sera prochainement lancé. En outre, le projet a toujours bénéficié d’une communication dans la presse locale et le bulletin municipal. Selon Pierre Fabre, la transparence vis-à-vis de l’évolution du projet a permis de faciliter son acceptation. « Il y a eu une petite opposition, mais celle-ci s’est calmée d’elle-même, suite à une réunion d’information ».
Avant la crise de l’énergie et l’inflation, le projet était donc prêt à émerger, mais depuis, la donne a changé. Le constructeur sélectionné, qui avait validé le process et avec lequel le collectif avait un bon contact, s’est retrouvé seul et a fini par faire faillite. Le projet, lui, n’est plus rentable en raison d’un prix de revente de l’électricité trop faible par rapport au marché. C’est la raison pour laquelle le collectif s’oriente désormais vers l’installation d’une unité pour injecter directement le biogaz dans le réseau. « Le budget est cette fois-ci de 4 millions d’euros, mais il est plus rentable, grâce à un prix de revente intéressant du gaz. Il faut raccorder l’unité au réseau situé à 15 km, mais des aides existent. L’autre piste consisterait à cryogéniser le biogaz, puis à le distribuer par camions-citernes à des entreprises par exemple, mais 6 ou 7 unités comme la nôtre seraient nécessaires pour rentabiliser l’opération. Cela semble plus difficile », conclut Robert Fabre. Le projet doit renouveler sa demande de permis de construire en raison des modifications apportées, mais Centrès Agri-Énergie espère un début des travaux début 2024.