Décryptage
Le bois-énergie est-il néfaste pour les forêts ?
Le plan de relance présenté en fin d’année 2020 mentionne à plusieurs reprises le recours aux énergies renouvelables parmi lesquelles la biomasse – dont le bois énergie – figure en bonne place. Dernièrement toutefois, la façon dont sont exploitées les forêts en France a été sévèrement critiquée, remettant en cause l’intérêt du bois-énergie. Retour sur les termes du débat.
Le point de vue de l’ingénieur écologue
Par Christel Leca
Salué par la filière forestière, le plan de relance volet “Transition agricole, alimentation et forêt” prévoit 200 millions d’euros d’aides à la forêt, dont 150 pour « convertir des taillis ou taillis sous futaie pauvres en futaies régulières ou irrégulières », reconstituer les forêts dépérissantes de l’est du pays ou aider les pépiniéristes à constituer des vergers pour une migration assistée d’essences, notamment du sud vers le nord. Pour Jean-Claude Génot, ingénieur écologue, co-auteur de La nature férale ou le retour du sauvage (éditions Jouvence nature, 2020), c’est un « pari incroyablement risqué avec de l’argent public. Depuis un demi-siècle, la France plante des épicéas de plus en plus bas en altitude, loin de la station naturelle montagnarde de l’essence. Alors qu’ils sont fragilisés par la sécheresse et leur inadaptation au terrain, on accuse les scolytes [insectes coléoptères]. Mais un arbre sain résiste à cet insecte, qui ne s’attaque qu’aux individus stressés par la sécheresse. Alors, sous couvert de s’adapter au changement climatique, on va chercher des espèces toujours plus loin au sud pour reconstituer une forêt fragilisée parce qu’on a fait de mauvais choix de gestion. Planter est un pari sur l’avenir à cinquante ans, voire plus. Cela coûte cher, demande des protections contre les herbivores, nécessite d’arroser en cas de sécheresse en début de croissance… Pourtant, une forêt sait se reconstituer elle-même, avec des essences adaptées au climat, même changeant. »
Des champs d’arbres
Parmi les arguments, celui du stockage de CO2 ne tient pas non plus pour l’écologue : « pour entretenir ces champs d’arbres, on intervient en permanence avec des engins motorisés – consommant au passage des énergies fossiles – qui ravinent les sols, libérant le carbone stocké. Rappelons que 50 % du carbone en forêt se situe dans le sol (humus). Après 35 ou 40 ans de ce régime interventionniste, les arbres seront coupés, alors qu’un individu est capable d’absorber du CO2 pendant plusieurs centaines d’années. La coupe rase accélère la minéralisation de la matière organique et libère encore du CO2 stocké dans le sol.
Ce système est obsolète. Une étude Refora de 2016 le prouve. La captation du CO2 si chère à nos forestiers dépend de la photosynthèse et donc de la masse foliaire, bien plus importante chez un arbre âgé qu’en début de croissance ! On a tout faux de vouloir rajeunir la forêt. » Comme pour appuyer ses dires, une lettre ouverte de 500 scientifiques alertant sur le bois énergie est parue le 11 février 2021 : « L’Union européenne doit arrêter de considérer la combustion de la biomasse comme neutre en carbone dans ses textes et référentiels sur les énergies renouvelables et dans son système d’échanges de quotas d’émission (ETS). »
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Le point de vue du professionnel du bois-énergie
Par Vincent Boulanger
Face à ces critiques la filière du bois-énergie apporte plusieurs niveaux de réponse. Dans une tribune parue le 9 mars dans le quotidien Les Echos, Michel Druilhe, président de France Bois Forêt, et Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables, rappelaient que le bois est d’abord récolté pour fournir du bois d’œuvre. « Nous utilisons les sous-produits de l’industrie du bois et de l’exploitation forestière : les éclaircies, les cloisonnements [chemins d’accès à l’intérieur des parcelles, ndlr], les houpiers. On ne rase pas en France métropolitaine les forêts pour en faire de l’énergie ! », insiste Mathieu Fleury, président du Comité interprofessionnel du bois-énergie (CIBE). Si des arbres entiers issus de coupes rases servent de bois-énergie, ils représentent une faible part de l’approvisionnement. Les coupes rases seraient d’ailleurs inévitables, selon lui, pour les arbres d’une parcelle arrivés à maturité en même temps. « Certes les machines forestières, comme les abatteuses, sont impressionnantes pour le grand public, mais heureusement que l’exploitation forestière est mécanisée, car nous manquons de bûcherons. La coupe a des impacts sur le moment, là où les engins passent, mais c’est le rôle des cloisonnements. En revanche, la nature reprend vite ses droits. Le sous-étage des forêts se développe, là où les arbres bloquaient la lumière, et la biodiversité se reconstitue. » La filière estime en outre que le pas de temps approprié pour mesurer l’impact carbone de la biomasse forestière est de 100 ans, et que la récolte de bois est un atout majeur pour maintenir une gestion durable des forêts. Concernant la neutralité carbone de la combustion de la biomasse, l’Agence internationale de l’énergie explique dans un document d’août 2020* que les émissions de CO2 dues aux coupes d’arbres sont prises en compte dans les comptabilités carbones nationales faisant l’inventaire des émissions du pays, sous la catégorie relative à l’utilisation des terres (Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie, UTCATF). Il est donc normal de ne pas les compter une deuxième fois au moment de la combustion du bois.
Intérêt bien compris
Mathieu Fleury assure d’ailleurs que la gestion des forêts évolue : « La question posée est celle de la résilience de nos forêts face au changement climatique. Nous savons que la monoculture de résineux n’est pas une solution d’avenir. Il faut non seulement mélanger résineux et feuillus, mais aussi les essences. Sans l’intervention humaine, la forêt risque de sérieusement souffrir. Les arbres ne pourront pas évoluer géographiquement aussi vite que le climat change. » Surtout, la ressource forestière est loin d’être menacée en France. « Depuis le code national forestier de Napoléon, il est obligatoire de replanter une parcelle qui a été coupée. Nous avons besoin d’une autorisation administrative pour exploiter. Nous sommes en outre à des années lumières d’une exploitation intensive des forêts. Nous n’exploitons pas la moitié de ce qui pousse chaque année. Nous sous-exploitons les forêts privées et nous sommes en retard sur la réalisation de tous les plans de gestion. En clair, les coupes programmées ne sont pas réalisées. » Enfin, les professionnels du bois-énergie sont également convaincus de la nécessité de préserver les forêts : « Quand nous installons une chaufferie bois dans une collectivité, elle est là pour fonctionner 20 ans. Nous n’avons aucun intérêt à saccager la forêt, nous souhaitons au contraire qu’elle produise de plus en plus de bois, pour que nous puissions y retourner. »
*« The use of forest biomass for climate change mitigation : dispelling some misconceptions », AIE Bioénergie