Portrait
Clever, le scénario européen de transition énergétique
L’association française négaWatt a travaillé avec une vingtaine de partenaires européens pour établir une trajectoire commune, modélisée à partir de scénarios nationaux et inscrite dans l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2045. Explications avec Yves Marignac, porte-parole de négaWatt.
D’où est venue l’idée de ce scénario européen ?
Après la sortie de notre scénario Négawatt en 2017, nous avons souhaité porter la prise de conscience à l’échelle européenne pour faire évoluer les termes du débat, toujours en travaillant dans une démarche projection-scénario-trajectoire afin de répondre à un problème systémique. L’idée a donc été, en travaillant avec une vingtaine de partenaires européens, de faire remonter une vision européenne à partir de contextes nationaux.
Cette trajectoire, Clever, vise à atteindre la neutralité carbone en 2045, avec une baisse des émissions de CO2 de 65 % d’ici à 2030 et une part des renouvelables qui augmente, pour atteindre 100 % en Europe en 2050. Comment êtes-vous parvenus à cela ?
Nous avons fonctionné en trois étapes : d’abord, nous sommes partis de l’analyse des besoins, avec une agrégation et une harmonisation des trajectoires nationales. Ensuite, nous nous sommes appuyés sur la démarche systématique de négaWatt – sobriété, efficacité et renouvelables. Et enfin, nous avons recherché, au-delà de la neutralité carbone, une réduction globale des impacts écologiques et sociaux négatifs ainsi que des risques.
Tous les partenaires étaient-ils toujours d’accord ?
Les partenaires venaient de cultures différentes que l’on peut classer en trois catégories : académiques/institutionnelles, think tank et ONG. Nous avons ressenti dans la dernière phase ce que l’on appelle une « tension constructive » entre le nécessaire réalisme de l’ambition et le nécessaire réalisme de la mise en œuvre. Les ONG poussaient par exemple à renforcer l’ambition pour atteindre la neutralité carbone dès 2040, mais cela ne semblait pas atteignable puisque soumis à beaucoup de conditions de mise en œuvre, politiques notamment.
Le concept de sobriété était finalement peu connu en dehors de nos frontières ?
La sobriété est implicitement prise en compte dans les scénarios des pays avec lesquels nous avons travaillé, mais pas forcément nommée ainsi. En anglais, on parle de « sufficiency », qui traduit d’ailleurs bien la notion d’« avoir assez ». Il y a en tout cas un consensus sur le fait que la sobriété peut être activée encore bien davantage. Le terme est apparu dans le sixième rapport du Giec, publié en mars. Nous avons commencé les travaux sur Clever en 2018. En quatre ans, le contexte énergétique a considérablement changé et a fait évoluer la perception de tous sur cette notion. Mais il est vrai que la France est le seul pays dont le gouvernement explicite désormais un enjeu de sobriété.
La notion de justice sociale est aussi davantage mise en avant dans Clever que dans le scénario négaWatt…
Oui, même si dans le scénario négaWatt, nous parlions de précarité énergétique. Mais effectivement, nous évoquons davantage dans Clever l’enjeu de la justice sociale. Un des points qui semble ressortir, c’est le fait que la notion de « limites » soit en train de pénétrer nos imaginaires collectifs. C’est de nature à transformer ce qui est perçu comme des inégalités en injustice sociale. Le modèle néolibéral nous a imprégnés de l’idée selon laquelle les inégalités faisaient partie du paysage, que cela permettait de poursuivre notre modèle basé sur la croissance. Tout cela fonctionne tant que l’on fait croire que les ressources sont illimitées. Or, là, la surconsommation extrême des uns engendre la privation des autres et cela devient de plus en plus inacceptable.